L'ange déchu
Publié le 16 Août 2007
L’ANGE DECHU
L’internat professionnel, St Exupéry, situé dans la proche banlieue lyonnaise, accueillait plus de 2000 élèves. De nombreuses formations professionnelles y étaient
proposées pour ces jeunes en difficultés scolaires. Certains préparaient un diplôme dans l’hôtellerie, d’autres dans la mécanique en passant par l’esthétisme ou encore la coiffure.
En ce début de journée, les jeunes lycéens, se rendaient dans les différentes classes où les cours étaient dispensés par des enseignants plus ou moins
motivés.
Dans une petite salle située en annexe du bâtiment principal, se déroulait le cours de poésie française du professeur Martin. Une vingtaine d'étudiants à peine
assistait à ce cours optionnel. Malgré tout le talent de monsieur Martin, les élèves ne se bousculaient pas. En effet, la plupart préféraient faire des activités sportives ou suivre les cours
d’informatiques que de perdre leur temps à s'intéresser à la beauté des mots. Martin venait de fêter ses 35ans, il était assez athlétique car il pratiquait régulièrement de l’aviron en
amateur. Cela faisait plus d’une quinzaine d’année qu’il enseignait la littérature d’abord à l’université et depuis cinq dans ce lycée. Il avait eu le désir de se lancer un nouveau défit en
essayant d’ouvrir ces jeunes esprits réfractaires à l’enseignement à la beauté de la langue française. Parfois il avait eu envie de tout abandonné devant la difficulté de la tâche mais, à
d’autres moments, un élève particulier lui rappelait que son travail n’était pas vain.
Le jeune Vincent faisait partie cette dernière catégorie. Il s'agissait d'un élève assez renfermé mais très motivé. Il préparait son diplôme dans la restauration
mais trouvait toujours le temps nécessaire pour venir chaque semaine assister au cours de Martin.
Il y avait quelque chose de différent chez ce jeune homme et Martin l'avait tout de suite sentie. Il avait toujours fait preuve de professionnalisme avec ses jeunes
élèves, pourtant pour la première fois de sa carrière, il ne pouvait s'empêcher d'être à la fois fasciné et effrayé par la beauté de Vincent. Il avait à peine 17 ans et était en première. Son
regard d’un bleu intense trahissait une maturité précoce. Il avait traversé beaucoup d’épreuves et son parcours scolaire en disait long sur lui. Renvoyé de la plupart des collèges qu’il avait
fréquentés pour son absentéisme, il avait fini par être placé en internat par sa famille. Après un démarrage houleux, Vincent avait fini par s’intéresser à ses cours de cuisines et à apprécier de
partager son temps entre études et activités professionnelles. En effet, 2 jours par semaine, il travaillait dans un restaurant assez chic du centre ville. Il semblait avoir mis de coté ses
frasques pour enfin s’investir dans ses études. Il semblait avoir trouvé, au travers de ce cours de poésie, un espace de sérénité, qui lui permettait de se ressourcer dans cet univers très speed
de la restauration.
Durant ces longs moments de silences pendant lesquels les étudiants lisaient certains passages d'auteurs anciens, Martin avait parfois du mal à détourner son regard
de cet être en pleine jeunesse, qui avait soif d'apprendre. Parfois la tête du jeune homme se relevait comme s'il sentait le poids du regard de son professeur sur ses épaules. Ils se fixaient un
bref instant. Martin pouvait alors apercevoir une petite lueur dans ses yeux. Alors son coeur s'affolait et il n'avait qu'une envie, prendre ses jambes à son cou. Ses pensés devenaient confuses
et il était mal à l'aise.
Ce soir là, Martin, commençait à entreprendre le chemin du retour chez lui à pied car on venait de lui crever les pneus de son vélo. Une voiture s'immobilisa à sa
hauteur et une voix familière lui proposa de le raccompagner. Il hésita. D'un coté il lui restait 5 km à parcourir, de l'autre une peur insensée de se retrouver assis au coté de Vincent le
saisissait. Il chassa rapidement ses idées stupides de sa tête et s'installa à coté du chauffeur. Le voyage fut très silencieux. Arrivé en bas de son immeuble il se sentit soulagé :
-"Je te remercie de m'avoir ramené. Si je retrouve le petit crétin qui m'a crevé mon vélo...
- Vous le remercierez de ma part car sans lui je n'aurai pas eu le plaisir de vous raccompagner. Vous ne m'invitez pas à prendre un verre ?
- Je n'ai que du jus d'orange.
- Ca sera parfait." Martin n'eut même pas le temps de trouver une autre excuse, Vincent s'était déjà invité.
Ils prirent place sur le sofa et commencèrent à discuter d'un livre dont il avait à faire la synthèse :
-" Je trouve vraiment dommage que vous ayez si peu d'étudiants. Je ne comprends pas. Vos cours sont tellement captivant..
- Disons que la poésie ne fait plus recette aujourd'hui.
-Oui les jeunes avec leur texto sont bien loin de comprendre toute la subtilité et la magie des mots.
- Tu ne m’as pas l’air bien plus vieux qu’eux.
- Parfois j’ai l’impression d’avoir cent ans ! Je me sens si loin des préoccupations des jeunes de mon âges.
- Et à quoi pensent les garçons d’aujourd’hui ? » Vincent s’assombrit et semblait perdu un cours intense dans
ses pensées :
- « Je ne sais pas trop. Les filles, les sorties et bien sur être mieux fringuer que son voisin.
- Et toi à quoi tu penses ? » Martin regretta aussitôt sa curiosité.
Vincent le dévisagea longuement de ses yeux clairs. Martin fut troublé par ce regard, il se leva
précipitamment et se dirigea dans la cuisine. Il essaya de retrouver son calme quand une main se posa sur son épaule. Il sentit le souffle chaud de Vincent dans son cou. Il se retourna et le
jeune garçon vint se nicher entre ses bras. Il avait souvent rêvé de ce moment. Mais un frisson le ramena à la raison. Il le repoussa :
-" Non ! Nous commettrions une grave erreur. Tu oublis que je suis ton professeur et toi un élève.
- Quelle importance ! J'en ai assez de jouer au chat et à la souris avec toi. Je sais que tu éprouves les mêmes sentiments que moi.
- Tu ne vois pas que cela est impossible. Qu'est-ce que tu cherches à la fin ?
- Je pensais simplement que tu étais différent des autres. Mais j'avais tort." Vincent planta Martin au milieu de son
appartement.
Les jours suivant, Vincent, ne vint plus au cours de littératures. Martin était soulagé en partie, mais au fond de son coeur il souffrait. Au bout d'une semaine, il
commença à s'inquiéter. Il s'en voulait de perdre un élève aussi doué. Il décida de lui rendre visite à l’internat.
Vincent partageait sa chambre avec quatre autres garçons. Aucune intimité n’était possible dans ce genre d’endroit. Martin pensa que le jeune homme devait beaucoup
en souffrir. A peine arrivée, il sentit Vincent sur la défensive :
-"Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je voulais éclaircir certaines choses avec toi. Je trouve dommage que tu compromettes tes études à causes de moi.
- C'était trop pénible de te voir et de penser que tu me détestes.
- Je ne te déteste pas." Ils sortirent dans la rue pour être sûr que personne ne pouvait les entendre. La situation
était embarrassante :
-" Vincent, j'éprouve pour toi une infinie tendresse. Mais je dois penser à ma carrière, cela me parait très dangereux.
- C'est ça qui est excitant !!
- Je pourrais perdre mon poste !" Et puis il y avait la différence d’âge. Martin se sentait si jeune à ses
cotés mais il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait l'âge d'être son père :
-" Tu dois connaître un tas de jeunes gens de ton âge. Tu ferais mieux d'aller avec eux et de m'oublier. Je suis trop vieux !
- L'âge n'a pas d'importance. Ce qui compte c'est l'instant présent. Et en ce moment j'ai très envie de t'embrasser."
Son regard était brûlant de désir. Toutes ses bonnes résolutions volèrent en éclat. Il y avait ce jeune garçon, à la beauté suave qui lui faisait face. Tout son corps vibrait en sa présence.
Il n’avait qu’une envie, le prendre dans ses bras, le couvrir de baiser et de caresses. Au diable la déontologie, la différence d’âge, après tout il ne faisait rien de mal. Enfin, c’est ce qu’il
essayait de se convaincre.
Ils se donnèrent rendez-vous le soir même dans l'appartement de l'enseignant. Martin était très nerveux. Jusqu’à présent, il n’avait connu que des aventures sans
lendemains avec des hommes mais il ne s'agissait que de sexe. Aujourd'hui c'était différent, car ses sentiments pour le jeune homme étaient bien plus intenses qu’une rencontre d’une nuit avec un
inconnu. Lorsque Vincent entra dans le salon, il essaya de garder un air détaché et serein. Mais quand il fut à quelques centimètres de lui, il lui prit une envie irrésistible de se jeter sur le
jeune homme et de lui arracher tous ses vêtements pour couvrir de caresses chaque centimètre de son jeune corps. Alors qu'il contenait ses propres pulsions, Vincent fit le premier pas. Il serra
Martin dans ses bras. Ses lèvres se mirent à léchouiller son oreille, pour descendre doucement le long de sa joue et finir sa course sur sa bouche. Visiblement, Vincent avait déjà une certaine
expérience. Martin passa ses doigts dans ses cheveux, puis tira sa tête en arrière pour lui rendre son baiser avec encore plus de fougues et de puissance. Ensemble ils partagèrent une nuit
entière de plénitude et d’harmonie sexuelle.
Les semaines suivantes se déroulèrent comme dans un rêve. Ils se voyaient pratiquement tous les jours en plus des heures de cours. Il était devenu très difficile
pour Martin d'enseigner. Il essayait de garder le contrôle de ses sentiments mais il était tombé amoureux fou de Vincent.
Leur petit manège, bien qu'extrêmement discret, n'avait pas échappé à l'un des élèves. Il avait surpris à plusieurs reprises les regards langoureux, et les petits
mots que Vincent glissait dans ses copies à l'attention du professeur. Dom savait repérer les bons plans et il avait trouvé là un bon moyen d’augmenter sa moyenne générale et de se faire de
l'argent facile. Il alla trouver le professeur pour s'entretenir d'une affaire avec lui. Il lui tendit une photo. En la voyant Martin blêmit :
-"Qu'est-ce que cela signifie ?
- Ne vous énervez pas cher professeur. Ce n'est qu'une photo. Croyez-moi la vidéo est bien plus croustillante. Qui aurait bien pu imaginer une chose pareille ?
Vous, un professeur honorable en fâcheuse posture avec un mineur. Je me demande ce que penserais le recteur ?
- Combien veux-tu ?
- Je vois que vous comprenez vite. Je veux 5000€ et une bonne moyenne. Vous voyez je ne suis pas trop gourmand." Le pays des rêves venait de s'effondrer en
mille morceaux. Et la chute avait été brutale.
Le soir venu, lorsqu'il retrouva Vincent, il le mit au courant du chantage dont il était victime :
-"Qu'as-tu l'intention de faire ?
- Payer ce qu'il veut.
- Tu ferais mieux de le dénoncer à la police. Tu crois qu'il va s'arrêter là.
- Je n'ai pas le choix. Si le recteur est informé je vais perdre ma place et toi tu risques le renvoi.
- Laisses moi faire. Je vais régler le problème et récupérer la vidéo.
- Mais comment ?" Il n'en su pas d'avantage. Mais l'expression de son ami l'effraya.
Vincent donna rendez-vous à Dom quelques jour plus tard afin de discuter. Martin s'était mis en arrêt maladie, il avait les nerfs en vrac. Il ne supportait plus
l'idée de se retrouver face à face avec un maître chanteur et son jeune amant.
La nuit venait de tomber et dans un coin sombre du lycée déserté par les étudiants, deux jeunes hommes étaient en pleine discussion. Vincent était extrêmement calme.
Dom faisait semblant d'être sûre de lui mais en fait il avait très peur de se faire prendre :
-" Bonsoir, Vincent chéri ! C'est comme ça qu'il t'appelle quand vous êtes seul tous les deux.
- Gardes tes sarcasmes pour quelqu'un d'autre. Tu vas me rendre la vidéo.
- En échange de quoi ?
- De ta vie." Il sortit un cran d'arrêt. Il attrapa Dom par-derrière et posa la lame sur sa gorge. De grosses gouttes
de sueurs perlaient sur son front. Il n'aurait jamais cru Vincent capable d'un tel acte et se rendit compte que finalement il ne la connaissait pas très bien :
-"Tu ne vas pas faire une chose pareille ?
- Qu'est-ce qui m'en empêcherait ? Tu ne vaux rien à mes yeux. Dis-moi où elle est si tu veux que je te laisse la vie sauve.
- Ils sauront que c'est toi s'il m'arrive quoique ce soit.
- Comment ? Ce n'est pas mon arme. On croira simplement à un règlement de compte entre bande de jeune." Il pouvait lire
dans son regard qu'il ne bluffait pas. Dom devait sauver sa peau :
-"Elle est dans ma chambre, dans la boîte du film MATRIX.
- Merci. J'espère que tu me dis bien la vérité. Je ne laisserai jamais personne se mettre entre moi et le professeur."
Dom s'apprêtait à repartir lorsqu'il sentit le froid glacé de la lame lui parcourir le cou. Dans un hoquet effroyable, il s'écroula à genou en essayant de retenir le sang qui coulait à flot entre
ses doigts. Puis il s'effondra à terre et dans un dernier sursaut la vie s'échappa.
Vincent jeta le couteau dans une poubelle et parti chercher l'objet de tous ses soucis. Au petit matin il retourna auprès de Martin pour lui apprendre la bonne
nouvelle. Mais il trouva ce dernier en piteux état :
-" Tu as entendu la télé. On a retrouvé le corps de Dom ce matin.
- Oui je sais. Mais il n'y a rien à craindre. J'ai récupéré la cassette et on ne fera jamais le rapprochement avec nous, je te le jure mon
amour." Martin détourna la tête. Il avait réfléchi toute la nuit et il avait pris une décision très pénible :
-" Il ne faut plus que l'on se voit.
- Je ne comprends pas. Il n'y a plus aucun problème. Je me suis occupé de tout." Le professeur avait réalisé le danger
de sa position. Au départ il n'avait pensé qu'au bonheur qu'il éprouvait en la compagnie de son jeune ami. Mais à présent, même si Dom ne représentait plus de danger, une autre personne pouvait à
tout moment prendre sa place. Il ne pouvait se permettre de tout perdre pour les beaux yeux d'un garçon :
-"Je suis vraiment désolé, Vincent, notre relation doit cesser. C'est beaucoup mieux ainsi, crois-moi. Ce que nous avons vécu était merveilleux mais c'est
fini.
- Non, je ne te laisserai pas faire une chose pareille. Pas après ce que j'ai dû faire pour récupérer cette maudite vidéo.
- Et qu'est-ce que tu as fait ?" Martin prit peur. Il regarda le jeune homme avec horreur. Il y avait quelque chose en
lui qui lui glaçait les os :
-" Ne joues pas les innocents. Tu sais très bien ce que j'ai dû faire.
- Oh mon Dieu ! Mais pourquoi ?
- Je t'aime. Je suis à toi pour la vie. Je ne laisserai personne entraver notre amour.
- Tu es fou ! Je ne veux plus te revoir. Tu m'entends." Mais Vincent n'entendait plus rien. Il venait de comprendre que
l'homme de sa vie, l'homme pour qui il avait tué l'abandonnait. Pourquoi toutes les personnes qu’il aimait finissaient par le trahir ? Comme son père, durant des années il avait tout fait
pour que cet homme froid et distant soit fière de lui et lui donne un peu d’amour. Mais il ne voyait que la déception dans son regard. Alors il avait baissé les bras et était parti à la dérive.
La seule chose que son père avait trouvé, c’était de l’envoyer aussi loin que possible tant son propre fils le dégoûtait.
Cette nuit, il avait pris de la drogue pour se donner du courage afin d'accomplir sa mission. Il n'était plus en état de réfléchir correctement. Il avait
l'impression d'évoluer dans un brouillard épais et ne voyait plus aucune issu :
-" Si je ne t'ai pas alors personne ne t'aura !" Il se saisit d'un objet lourd à sa porter et, avec la beauté d'un ange déchu, fracassa le crâne du
professeur Martin.
Le corps tomba lourdement sur le sol. Vincent s’agenouilla, en pleurs et pris la tête en sang entre ses bras. La violence de son geste était à la hauteur de ses
sentiments. Toute sa vie n’avait été qu’une succession de gâchis et de désespoirs. Il n’avait que 17 ans mais comme il le disait si bien il avait l’impression d’avoir cent ans tant la vie lui
était insupportable. Il pensait avoir trouver un peu de réconfort et de bonheur dans les bras de Martin. Pourtant au final il s’était retrouvé une nouvelle fois seules et abandonnées.
Fin