Sebastian Meise : "Great Freedom mêle le film de prison et le film d’amour"

Publié le 9 Février 2022

Rencontre avec le réalisateur autrichien autour de son film, prix du jury Un Certain Regard au festival de Cannes, qui rappelle l’ampleur de la répression de l’homosexualité dans l’Allemagne de l’après-guerre.

 

Première : Great Freedom prend pour point de départ cette réalité historique largement méconnue : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les homosexuels allemands libérés des camps par les Alliés ne sont pas rentrés chez eux, ils sont allés en prison, car l’homosexualité était un crime…

Sebastian Meise : Oui. J’ai pris conscience de ça au hasard de la lecture d’une revue d’histoire gay, publiée à Hambourg. Ce n’était qu’une note de bas de page, à vrai dire. J’étais estomaqué, je n’en revenais pas de ne pas mieux connaître cette histoire, c’était très perturbant. J’ai réalisé que je ne savais pas grand-chose, au fond, du Paragraphe 175 (Décrété en 1872, le Paragraphe 175 du Code Civil allemand criminalisait l’homosexualité ; l’interdiction totale de l’homosexualité en Allemagne a perduré jusqu’en 1969 – ndlr). Nous avons donc commencé, avec mon coscénariste Thomas Rieder, à faire des recherches. Je n’avais pas idée de l’ampleur des persécutions.

Comment avez-vous procédé pour construire un scénario à partir de ces recherches ?

On ne voulait pas donner un cours d’histoire, ni même faire un film historique, mais raconter une histoire humaine avec cette réalité en toile de fond. Nous avons mené de nombreux entretiens avec des témoins, des gens qui étaient allés en prison à cause de leur homosexualité dans les années soixante. Ces recherches nous ont permis de créer nos personnages. Nos interlocuteurs, dans l’ensemble, avaient eu des expériences très similaires.

Great Freedom s’inscrit dans la tradition du film de prison…

J’ai toujours été un grand fan des films de prison. Le premier, ça a été L’Evadé d’Alcatraz, qui m’a laissé une forte impression quand j’étais enfant. Je crois que si je m’intéresse autant à ces films, c’est parce que l’une de mes plus grandes peurs, c’est justement de me retrouver en prison. C’est un cauchemar récurrent chez moi ! J’ai imaginé Great Freedom comme une sorte de point de rencontre entre le film de prison et le film d’amour, je souhaitais qu’il y ait un contraste entre la brutalité de l’emprisonnement et la quête d’amour de cet homme qui cherche à se rapprocher des autres.

Quels films avez-vous revus pour préparer le vôtre ?

Un chant d’amour de Jean Genet, Le Baiser de la femme araignée… Ce sont un peu des évidences, mais revoir d’autres films avant de faire le mien me sert surtout à déterminer ce que je ne veux pas faire, ce qui ne m’intéresse pas. Dans le cas de Genet en l’occurrence, c’est l’homoérotisme, le fétichisme lié à l’homosexualité. Ça ne correspondait à la direction que je voulais emprunter. Je m’intéresse à la nature humaine, à ce que signifie être enfermé dans un système. Et je ne voulais pas d’un homosexuel flamboyant comme celui du Baiser de la femme araignée. Au contraire, je voulais montrer des gens ordinaires, qui n’ont rien de spécial. C’est juste qu’ils aiment des hommes, voilà tout.

Le film montre des personnages errant dans une sorte de labyrinthe temporel sans fin. Quoi qu’ils fassent, ils sont condamnés à vivre enfermés. Dans l’une des rares scènes du film qui ne se déroule pas en prison, vous montrez les backrooms d’un club gay en insistant, justement, sur leur esthétique carcérale...

C’est quelque chose qui m’a toujours fasciné. Encore aujourd’hui, dans la culture des backrooms, on trouve tous les éléments de l’oppression, les barreaux, l’attirail policier, les uniformes, l’obscurité… Un des premiers clubs gays qui a ouvert à Berlin, au début des années 70, s’appelait Jail (« Prison ») et il y avait des barreaux sur le comptoir, à travers lesquels le barman passait les bières aux clients. La philosophe Judith Butler a écrit là-dessus, sur la manière dont le fétichisme permet de combattre l’oppression. Les symboles sont retournés, comme dans une parodie. Ils ne sont plus synonymes de danger, mais de jeu.

Great Freedom, de Sebastian Meise. Avec Franz Rogowski, Georg Friedrich, Anton von Lucke… Au cinéma le 9 février 2022.

Source Première

Rédigé par Michael

Publié dans #sorties cinéma, #cinéma gay

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